mercredi 9 avril 2014

Gaz sarin en Syrie : histoire secrète de la machination entre USA et Turquie



En 2011, Barak Obama a mené une intervention militaire alliée en Libye sans consulter le Congrès américain. En août dernier 2013, après l’attaque au gaz sarin sur Ghouta, une banlieue de Damas, il était prêt à lancer une nouvelle attaque aérienne alliée, cette fois pour punir le gouvernement syrien pour avoir traversé la « ligne rouge » qu’il avait tracée en 2012 sur l’utilisation d’armes chimiques. Puis, deux jours avant la date prévue des frappes, il a annoncé qu’il allait demander l’approbation du Congrès. La frappe fut reportée tandis que le Congrès se préparait pour les audiences, pour être finalement annulée lorsque Obama a accepté l’offre de M. Assad de renoncer à son arsenal chimique suite à un accord négocié par la Russie. Pourquoi Obama a-t-il temporisé puis cédé sur la Syrie alors qu’il n’avait pas hésité à se précipiter sur la Libye ?
La réponse se trouve dans un affrontement entre ceux de l’administration qui étaient décidés à faire respecter la ligne rouge et les chefs militaires qui pensaient que faire la guerre était à la fois injustifiée et potentiellement désastreuse.
La raison du changement d’opinion d’Obama se trouve à Porton Down, le laboratoire de la défense situé dans le Wiltshire. Les services de renseignement britanniques avaient obtenu un échantillon du gaz sarin utilisé dans l’attaque du 21 Août et les analyses ont démontré que le gaz utilisé ne correspondait pas aux lots connus des armes chimiques de l’arsenal de l’armée syrienne. Le message fut rapidement transmis aux chefs d’état-major des armées US que les accusations contre la Syrie ne tiendraient pas. Le rapport britannique a confirmé les doutes au sein du Pentagone ; les chefs d’état-major se préparaient déjà pour avertir Obama que ses plans pour une attaque de grande envergure par bombardements ou missiles sur les infrastructures de la Syrie pourraient conduire à une guerre plus large au Moyen-Orient. En conséquence, les officiers US ont délivré un avertissement de dernière minute au président, ce qui, à leur avis, a finalement conduit à l’annulation de l’attaque.
Pendant des mois, il y avait eu une vive inquiétude parmi les dirigeants militaires et la communauté du renseignement sur ​​le rôle joué dans la guerre par des voisins de la Syrie, en particulier la Turquie. Le Premier ministre Recep Erdogan était connu pour son soutien à al-Nosra, une faction djihadiste de l’opposition rebelle, ainsi qu’à d’autres groupes rebelles islamistes. « Nous savions qu’il y en avait certains dans le gouvernement turc, » m’a dit un ancien haut responsable du renseignement américain, qui a toujours accès aux dossiers, « qui ont cru qu’ils pouvaient choper Assad par les couilles en l’impliquant dans un attentat au gaz sarin à intérieur de la Syrie – et forcer Obama à réagir » .
Les chefs d’état major savaient aussi que les accusations publiques de l’administration Obama selon qui seule l’armée syrienne avait accès au sarin étaient fausses. Les services de renseignement américains et britanniques étaient au courant depuis le printemps de 2013 que certaines unités rebelles en Syrie développaient des armes chimiques. Le 20 juin, des analystes de la Defense Intelligence Agency [DIA - services de renseignement de l’armée US] ont publié un rapport de cinq pages, très hautement classifié, de « points de discussion » d’une réunion d’information, pour le directeur adjoint de la DIA, David Shedd, qui affirme qu’al-Nosra avait une unité de production de sarin : son programme, indiquait le rapport, était « le complot au sarin le plus avancé depuis les efforts d’Al-Qaïda avant le 11/9 ». (Selon un consultant du Département de la Défense, le renseignement américain savait depuis longtemps qu’Al-Qaïda avait expérimenté des armes chimiques, et est en possession d’une vidéo d’une de ces expériences de gaz sur des chiens.) Le document de la DIA poursuit : « Jusqu’à présent, l’attention des services de renseignement a porté presque exclusivement sur les armes chimiques syriennes ; à présent, nous constatons qu’al-Nosra tente de fabriquer ses propres armes… la liberté de manœuvre relativement grande d’al-Nosra en Syrie nous amène à penser que la volonté du groupe sera difficile à contrer à l’avenir. » Le document cite de nombreux renseignements classifiés en provenance de nombreux organismes : « des intermédiaires Turcs et Saoudiens », dit-il « ont tenté de se procurer des composants de sarin en vrac, des dizaines de kilogrammes, probablement dans le but de lancer une production à grande échelle en Syrie. » (Interrogé sur le document de la DIA, un porte-parole du directeur du renseignement national a déclaré : « Aucun rapport n’a jamais été demandé ou produit par les analystes des services de renseignement. »)
En mai dernier, plus de dix membres du Front al-Nosra ont été arrêtés dans le sud de la Turquie avec, selon ce que la police locale a rapporté à la presse, deux kilos de sarin. Dans un acte d’accusation de 130 pages, le groupe a été accusé d’avoir tenté d’acheter des détonateurs, des tubes pour la construction de mortiers, et des composants chimiques pour le sarin. Cinq des personnes arrêtées ont été libérées après une brève détention. Les autres, dont le chef de file, Haytham Qassab, pour qui le procureur a requis une peine de prison de 25 ans, ont été libérés en attendant le procès. En attendant, la presse turque a été en proie à la spéculation que l’administration Erdogan aurait couvert l’étendue de sa complicité avec les rebelles. Dans une conférence de presse l’été dernier, Aydin Sezgin, l’ambassadeur de Turquie à Moscou, a minimisé les arrestations et affirmé aux journalistes que le « sarin » qui avait été saisi était simplement de l’« antigel ».
Le document de la DIA considère que les arrestations constituent la preuve qu’al-Nosra avait développé son accès aux armes chimiques. Il dit que Qassab s’était « auto-identifié » comme un membre d’Al-Nosra, et qu’il était directement en relation avec Abd-al-Ghani, « l’émir du front chargé de la fabrication militaire ». Qassab et son associé Khalid Ousta travaillaient avec Halit Unalkaya, employé d’une entreprise turque appelée Zirve Export, qui a fourni « des devis pour des quantités en vrac de composants de sarin ». Le plan d’Abd-al-Ghani était que deux associés « perfectionnent un procédé de fabrication du sarin, puis se rendent en Syrie pour former d’autres personnes pour commencer la production à grande échelle dans un laboratoire non identifié en Syrie ». Le document de la DIA dit que l’un de ses agents avaient acheté un des composants sur le « marché des produits chimiques de Bagdad », qui « a fourni au moins sept tentatives de fabrication d’armes chimiques depuis 2004. »
Une série d’attaques d’armes chimiques en Mars et Avril 2013 fut étudiée au cours des mois suivants par une mission spéciale des Nations Unies en Syrie. Une personne avec des connaissances précises sur l’activité de l’ONU en Syrie m’a dit qu’il y avait des preuves reliant l’opposition syrienne à la première attaque au gaz, le 19 Mars à Khan Al-Assal, un village près d’Alep. Dans son rapport final en décembre, la mission a déclaré qu’au moins 19 civils et un soldat syrien étaient parmi les victimes, ainsi que des dizaines de blessés. La mission n’était pas mandaté pour désigner le responsable de l’attaque, mais la personne ayant connaissance des activités de l’ONU a déclaré : « Les enquêteurs ont interrogé les gens présents sur place, y compris les médecins qui ont soigné les victimes. Il était clair que les rebelles avaient utilisé le gaz. L’information n’avait pas été rendue publique parce que personne ne voulait l’entendre. »
Dans les mois précédant les attaques, m’a dit un ancien haut fonctionnaire du Département de la Défense, la DIA a fait circuler un rapport classifié, connu sous le nom de SYRUP, sur toutes les informations liées au conflit syrien, y compris sur les armes chimiques. Mais au printemps, la distribution de la partie du rapport concernant les armes chimiques a été sévèrement réduite sur les ordres de Denis McDonough, le chef de cabinet de la Maison Blanche. « Il y avait quelque chose là dedans qui a déclenché un caca nerveux chez McDonough » a déclaré l’ancien fonctionnaire du ministère de la Défense. « A un moment donné, il y avait un truc énorme, et puis, après les attaques au sarin de mars et avril » – il a claqué des doigts – « et pouf, tout a disparu ». La décision de restreindre la distribution du rapport a été prise alors que les chefs d’état major ordonnaient d’urgence la planification détaillée d’une éventuelle invasion terrestre de la Syrie avec pour objectif principal l’élimination des armes chimiques.
L’ancien responsable du renseignement a dit que beaucoup dans les milieux de la sécurité nationale des États-Unis ont longtemps été troublés par la ligne rouge du président : « Les chefs d’état-major ont demandé à la Maison Blanche, « Que signifie la ligne rouge ? Comment cela se traduit-il en termes militaires ? Des troupes au sol ? Des frappes massives ? Des frappes limitées ? » Ils ont confié au renseignement militaire une étude sur comment nous pourrions concrétiser la menace. Ils n’ont rien appris de plus sur les intentions du président ».
Au lendemain de l’attaque du 21 Août, Obama a ordonné au Pentagone de dresser une liste d'objectifs à bombarder. Au début, a déclaré l’ancien responsable du renseignement, « la Maison Blanche a rejeté 35 listes de cibles fournies par les chefs d’état-major sous prétexte que c’était insuffisamment « douloureux » pour le régime d’Assad. » Les objectifs initiaux incluaient uniquement des sites militaires et aucune infrastructure civile. Sous pression de la Maison Blanche, le plan d’attaque US a évolué vers une « frappe monstrueuse » : deux flottes de bombardiers B-52 ont été transférées vers des bases aériennes proches de la Syrie, et des sous-marins et des navires équipés de missiles Tomahawk ont été déployés. « Chaque jour, la liste de cibles s’allongeait », m’a dit l’ancien responsable du renseignement. « Les planificateurs du Pentagone ont dit que nous ne pouvions pas utiliser uniquement des Tomahawk pour frapper les sites de missiles en Syrie parce que les installations étaient enfouies trop profondément, de sorte que les B- 52 assignés à la mission furent équipés avec des bombes d’une tonne (2000 livres). Ensuite, nous avions besoin d’équipes de secours pour récupérer les pilotes abattus et des drones pour des cibles sélectives. C’est devenu un truc énorme. » La nouvelle liste de cibles a été conçue pour « éradiquer totalement toutes les capacités militaires Assad », a dit l’ancien responsable du renseignement. La liste des objectifs principaux comprenait les réseaux électriques à haute tension, les dépôts de pétrole et de gaz, tous les dépôts connus de logistique et d’armes, tous les postes de commandement et de contrôle connus, et tous les bâtiments militaires et de renseignement connus.

La Grande-Bretagne et la France avaient un rôle à jouer

Le 29 Août, le jour où le Parlement (Britannique) a voté contre la proposition de Cameron de rejoindre l’intervention, le quotidien The Guardian a rapporté que Cameron avait déjà ordonné le déploiement de six avions de combat Typhoon à Chypre, et avait proposé un sous-marin capable de lancer des missiles Tomahawk. L’armée de l’air française – un acteur essentiel lors des frappes de 2011 sur la Libye – était profondément engagée, selon un article du Le Nouvel Observateur ; François Hollande avait ordonné à plusieurs chasseurs-bombardiers Rafale de se joindre à l’assaut américain. Leurs cibles étaient situées dans l’ouest de la Syrie.

A fin Août, le président avait donné aux chefs d’état-major une date limite pour le lancement des opérations. « L’heure H devait être au plus tard lundi matin [2 Septembre] , un assaut massif pour neutraliser Assad, » a dit l’ex-responsable du renseignement. Ce fut donc une surprise pour beaucoup quand, lors d’un discours à la Maison Blanche dans le Rose Garden, le 31 Août, Obama déclara que l’attaque était repoussée, et qu’il se retournait vers le Congrès pour la soumettre à un vote.

A ce stade, l’hypothèse d’Obama – que seule l’armée syrienne était capable de déployer du sarin – s’effilochait. Quelques jours après l’attaque du 21 Août, m’a dit l’ancien responsable du renseignement, les agents militaires russes de renseignement avaient récupéré des échantillons de l’agent chimique de Ghouta. Ils les ont analysés et transmis aux services de renseignement militaire britanniques ; c’était le matériel envoyé à Porton Down. (Un porte-parole de Porton Down a déclaré : « La plupart des échantillons analysés au Royaume-Uni ont été testés positifs pour le sarin, un agent neurotoxique. » Le MI6 a dit qu’il ne faisait pas de commentaires sur les affaires de renseignement.)
L’ancien responsable du renseignement a déclaré que le Russe qui a livré l’échantillon au Royaume-Uni était « une source fiable – une personne qui avait accès, la connaissance et un historique digne de confiance ». Après la première utilisation signalée d’armes chimiques en Syrie l’année dernière, les agences de renseignement américains et alliés « ont fait un effort pour trouver si quelque chose avait été utilisée – et la source » , a dit l’ancien responsable du renseignement. « Nous utilisons les données échangées dans le cadre de la Convention sur les armes chimiques. Le mode opératoire de la DIA consiste à connaître la composition de chaque lot d’armes chimiques soviétiques manufacturé. Mais nous ne savions pas quels lots se trouvaient dans l’arsenal syrien. Dans les jours qui ont suivi l’incident de Damas, nous avons demandé à une source au sein du gouvernement syrien de nous donner une liste des lots possédés par le gouvernement. C’est pourquoi nous avons pu arriver si rapidement à la conclusion. »
La procédure n’a pas fonctionné aussi bien au printemps, a dit l’ancien responsable du renseignement, parce que les études réalisées par les services de renseignement occidentaux « n’ont pas été concluantes sur la nature du gaz employé. Le mot « sarin » n’a pas été prononcé. Il y avait beaucoup de discussions à ce sujet, mais puisque personne ne pouvait conclure sur la nature du gaz, on ne pouvait pas dire qu’Assad avait franchi la ligne rouge du président. » Le 21 Août, toujours selon l’ancien responsable du renseignement, « l’opposition syrienne avait clairement appris la leçon et a annoncé que du « sarin » de l’armée syrienne avait été utilisé, avant toute analyse, et la presse et la Maison Blanche ont sauté sur l’occasion. Puisque c’était du sarin, « C’était forcément Assad. » »

Le personnel de la défense du Royaume-Uni, qui a relayé les conclusions de Porton Down aux chefs d’état-major US, ont envoyé un message aux Américains, a déclaré l’ancien responsable du renseignement : « Nous sommes en train de nous faire avoir » (Ce qui donne du sens à un message laconique envoyé fin août par un haut fonctionnaire la CIA : « ce n’est pas l’œuvre du régime actuel, le Royaume-Uni et les États-Unis le savent. ».) Nous n’étions plus qu’à quelques jours de l’assaut et les avions, navires et sous-marins américains, britanniques et français étaient prêts.

La personne chargée de la planification et de l’exécution de l’attaque était le général Martin Dempsey, président des chefs d’état-major. Dès le début de la crise, a déclaré l’ancien responsable du renseignement, les chefs d’état-major étaient sceptiques quant aux arguments avancés par l’administration pour étayer la culpabilité de M. Assad. Ils ont pressé la DIA et d’autres organismes pour obtenir des données plus concluantes. « Ils pensaient qu’il était impossible que la Syrie utilise du gaz à ce stade, car Assad était en train de gagner la guerre », a dit l’ancien responsable du renseignement. Dempsey avait irrité beaucoup de monde au sein de l’administration Obama au cours de l’été en mettant en garde à plusieurs reprises le Congrès du danger d’un engagement militaire américain en Syrie. En Avril dernier, après une évaluation optimiste de la progression des rebelles par le secrétaire d’État, John Kerry, devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des Représentants, Dempsey a déclaré à la commission des forces armées du Sénat que « il est possible que ce conflit soit entré dans une impasse ».
L’ancien responsable du renseignement a dit que le point de vue initial de Dempsey après le 21 Août, c’est qu’une frappe des États-Unis contre la Syrie – dans l’hypothèse où le gouvernement d’Assad était responsable de l’attaque au gaz sarin – constituerait une bavure militaire. Le rapport Porton Down a poussé les chefs d’état-major à confier au Président une préoccupation plus grave encore : que l’attaque voulue par la Maison Blanche constituerait un acte d’agression injustifié. Ce sont les chefs d’état-major qui ont conduit Obama à changer de cap. L’explication officielle de la Maison Blanche pour la volte-face – telle que racontée par les médias – était que le Président, au cours d’une promenade dans le Rose Garden avec Denis McDonough, son chef de cabinet, a soudainement décidé de demander l’approbation de la frappe à un Congrès profondément divisé avec lequel il était en conflit depuis des années. L’ancien responsable du département de la Défense m’a dit que la Maison Blanche a fourni une explication différente aux membres de la direction civile du Pentagone : la frappe avait été annulée suite à des renseignements selon lesquels, en cas de frappe, « le Moyen-Orient partirait en fumée ».
La décision du président d’aller devant le Congrès a été initialement considérée par les principaux collaborateurs à la Maison Blanche, a déclaré l’ancien responsable du renseignement, comme une reprise de la tactique de George W. Bush à l’automne 2002, avant l’invasion de l’Irak : « Quand il est devenu évident qu’il n’y avait pas d’ADM [Armes de Destruction Massive] en Irak, le Congrès, qui avait approuvé la guerre en Irak, et la Maison Blanche, se sont partagé la responsabilité et à plusieurs reprises ont invoqué des renseignements erronés. Si le Congrès actuel devait voter en faveur d’une frappe, la Maison Blanche pourrait à nouveau gagner sur les deux tableaux – mettre une raclée à la Syrie avec une attaque massive et valider l’engagement de la ligne rouge du président, tout en étant en mesure de partager la faute avec le Congrès s’il s’avérait que l’armée syrienne n’était pas responsable de l’attaque. » 

Le revirement fut une surprise même pour les dirigeants démocrates au Congrès. En Septembre, le Wall Street Journal a rapporté que trois jours avant son discours dans le Rose Garden, Obama avait téléphoné à Nancy Pelosi, chef de file des démocrates de la Chambre des Représentants, « pour discuter des différentes options ». Elle a dit plus tard à ses collègues, selon le journal, qu’elle n’avait pas demandé au président de soumettre le bombardement à un vote du Congrès.
La manœuvre d’Obama pour obtenir l’approbation du Congrès s’est rapidement convertie en une impasse. « Le Congrès n’allait pas laisser passer, » a dit l’ex-responsable du renseignement. « Le Congrès a fait savoir que, contrairement à l’autorisation de la guerre en Irak, il y aurait des audiences poussées. A ce moment, il y avait un sentiment de désespoir à la Maison Blanche, » a dit l’ancien responsable du renseignement. « Et soudain est apparu un plan B. Annuler la frappe si Assad acceptait de signer unilatéralement le traité sur les armes chimiques et de détruire toutes ses armes chimiques, sous surveillance des Nations Unies. » Lors d’une conférence de presse à Londres, le 9 Septembre, Kerry parlait toujours d’intervention : « le risque de ne pas agir est plus grand que le risque d’agir. » Mais quand un journaliste lui a demandé s’il y avait quelque chose qu’Assad pouvait faire pour arrêter les bombardements, Kerry a déclaré : « Bien sûr. Il pourrait remettre jusqu’à la dernière de ses armes chimiques à la communauté internationale la semaine prochaine… Mais il n’a pas l’intention de le faire, et il ne peut pas le faire, évidemment. » Comme le New York Times l’a rapporté le lendemain, l’accord négocié par les Russes qui a surgi peu après avait été initialement examiné par Obama et Poutine à l’été 2012. Bien que les plans de frappes avaient été écartés, l’administration n’a pas changé son discours officiel sur la justification d’entrer en guerre. « A ce niveau, il y a une tolérance zéro pour l’erreur, » a dit l’ex-responsable du renseignement en parlant des hauts fonctionnaires de la Maison Blanche. « Ils ne pouvaient pas se permettre de dire : « Nous nous sommes trompés. » » (Le porte-parole de la DNI a dit : « Ce n’est que le régime d’Assad, et uniquement le régime d’Assad, qui peut être responsable de l’attaque aux armes chimiques qui a eu lieu le 21 Août »)
L’ampleur de la coopération des États-Unis avec la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar dans le soutien à l’opposition rebelle en Syrie est encore à découvrir. L’administration Obama n’a jamais admis publiquement son rôle dans la création de ce que la CIA appelle une « ligne de rat [Rat line : une ligne d’exfiltration/infiltration] », une route clandestine vers la Syrie. La « ligne de rat », autorisée au début de 2012, a été utilisée pour acheminer à l’opposition des armes et des munitions en provenance de la Libye via le sud de la Turquie et à travers la frontière syrienne. Beaucoup de ceux en Syrie qui ont finalement reçu les armes étaient djihadistes, certains affiliés à Al-Qaïda. (Le porte-parole DNI a dit : « L’idée que les États-Unis fournissent à quiconque des armes en provenance de la Libye est fausse. »)
En Janvier, la Commissions du renseignement du Sénat US a publié un rapport sur l’agression en Septembre 2012 par une milice locale contre le consulat américain et un centre clandestin de la CIA proches de Benghazi, qui a abouti à la mort de l’ambassadeur américain, Christopher Stevens, et trois autres personnes. Les critiques contenues dans le rapport envers le Département d’Etat, pour n’avoir pas fourni une sécurité adéquate au consulat, et envers les services de renseignement pour n’avoir pas alerté l’armée américaine de la présence d’un avant-poste de la CIA dans la région, a fait la une des journaux et ravivé les animosités à Washington, avec les Républicains accusant Obama et Hillary Clinton de tenter d’étouffer l’affaire. Une annexe hautement classifiée au rapport, qui n’a pas été rendue public, décrit un accord secret conclu début 2012 entre les administrations Obama et Erdogan. Il portait sur la « ligne de rat ». Selon les termes de l’accord, le financement est venu de la Turquie, ainsi que de l’Arabie saoudite et du Qatar ; la CIA, avec le soutien du MI6 [britannique], était chargée du transfert des armes de l’arsenal de Kadhafi vers la Syrie. Un certain nombre de sociétés de façade avaient été mises en place en Libye, certaines sous le couvert d’entités australiennes. Des soldats américains à la retraite, qui ne savaient pas toujours qui était leur véritable employeur, ont été recrutés pour gérer l’approvisionnement et l’expédition. L’opération était dirigée par David Petraeus, le directeur de la CIA qui allait bientôt démissionner après la révélation de sa liaison avec l’auteure de sa biographie. (Un porte-parole de Petraeus a nié l’existence d’une telle opération.)
L’opération n’avait pas été divulguée au moment de sa mise en place aux commissions de renseignement et dirigeants du Congrès, en violation des lois en vigueur depuis les années 1970. L’implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classant sa mission comme une opération de liaison. L’ancien responsable du renseignement m’a expliqué que pendant des années il y a eu une exception reconnue dans la loi qui permet à la CIA de ne pas déclarer ses activités de liaison au Congrès. (Toutes les opérations secrètes de la CIA proposées doivent être décrites dans un document écrit et soumis à l’approbation des hauts dirigeants du Congrès.) La diffusion de l’annexe était limitée aux assistants qui avaient rédigé le rapport et aux huit plus hauts dirigeants du Congrès – les dirigeants démocrates et républicains de la Chambre des Représentants et du Sénat, et les dirigeants démocrates et républicains des commissions du renseignement de la Chambre et du Sénat. Cette mesure ne peut pas être vraiment considérée comme une volonté de contrôle dans la mesure où ces huit dirigeants n’ont pas vraiment pour habitude de se réunir pour poser des questions ou discuter de l’information secrète qu’ils reçoivent.
L’annexe n’a pas tout dit sur ce qui s’est passé à Benghazi avant l’attaque, et n’a pas non plus expliqué pourquoi le consulat américain a été attaqué. « La seule mission du consulat était de fournir une couverture pour l’acheminement des armes, » a déclaré l’ancien responsable du renseignement, qui a lu l’annexe. « Il n’avait pas de rôle politique réel. »
Après l’attaque contre le consulat, Washington a brusquement mis fin au rôle de la CIA dans le transfert d’armes en provenance de la Libye, mais la « ligne de rat » fut maintenu. « Les États-Unis ne contrôlaient plus ce que les Turcs transféraient aux djihadistes », a dit l’ancien responsable du renseignement. En quelques semaines, pas moins de quarante lanceurs portatifs de missiles sol-air, communément appelés MANPADS, se sont retrouvés entre les mains des rebelles syriens. Le 28 Novembre 2012, Joby Warrick, du Washington Post, a rapporté que les rebelles près d’Alep avaient utilisé la veille ce qui était presque certainement un manpad pour abattre un hélicoptère de transport syrien. « L’administration Obama, » a écrit Warrick, « avait toujours fermement refusé d’armer les forces d’opposition syriennes avec de tels missiles, en avertissant que de telles armes pouvaient tomber entre les mains de terroristes et être utilisées pour abattre des avions commerciaux. » Deux fonctionnaires du renseignement au Moyen-Orient ont désigné le Qatar comme source, et un ancien analyste du renseignement des États-Unis a émis l’hypothèse que les Manpads auraient pu être récupérés dans les avant-postes militaires syriens investis par les rebelles. Il n’y avait aucune indication que la possession de Manpads par les rebelles était la conséquence involontaire d’un programme américain clandestin qui avait échappé au contrôle américain.
À la fin de 2012, l’opinion générale qui prévalait dans toute la communauté américaine du renseignement était que les rebelles étaient en train de perdre la guerre. « Erdogan était en colère, » a déclaré l’ex-responsable du renseignement, « et s’est senti abandonné comme une vieille chaussette. C’était son argent et la rupture a été perçue comme une trahison. » Au printemps 2013, les services de renseignement américains ont appris que le gouvernement turc – par l’intermédiaire d’éléments du MIT, son agence nationale du renseignement, et de la gendarmerie, une organisation de répression militaire – était en train travailler directement avec al-Nosra et ses alliés pour développer des armes chimiques. « Le MIT était chargé des liaisons politiques avec les rebelles, et la gendarmerie de la logistique militaire, des conseils et formation sur théâtre des opérations – y compris de la formation en guerre chimique », a dit l’ancien responsable du renseignement. « Le renforcement du rôle de la Turquie au printemps 2013 était considéré comme la solution à ses problèmes là-bas. Erdogan savait que s’il arrêtait son soutien aux djihadistes, ce serait fini. Les Saoudiens ne pouvaient pas soutenir la guerre en raison de problèmes de logistique – à cause des distances et des difficultés pour acheminer des armes. L’espoir d’Erdogan était de susciter un événement qui obligerait les États-Unis à franchir la ligne rouge. Mais Obama n’a pas réagi en Mars et Avril. »
Il n’y avait aucun signe de discorde publique quand Erdogan et Obama se sont rencontrés le 16 mai 2013 à la Maison Blanche. Lors d’une conférence de presse qui suivi, Obama a dit qu’ils avaient convenu qu’Assad « doit partir ». Interrogé pour savoir s’il pensait que la Syrie avait franchi la ligne rouge, Obama a reconnu qu’il y avait des preuves que de telles armes avaient été utilisées, mais il a ajouté qu’ « il est important pour nous d’obtenir des informations plus précises sur ce qui s’y passe exactement ». La ligne rouge était toujours intacte.
Un expert de la politique étrangère américaine qui s’entretient régulièrement avec les responsables de Washington et d’Ankara m’a parlé d’un dîner de travail organisé par Obama pour Erdogan, lors de sa visite au mois de mai. Le repas a été dominé par l’insistance des Turcs que la Syrie avait franchi la ligne rouge et par leurs plaintes qu’Obama se montrait réticent à intervenir. Obama était accompagné de John Kerry et de Tom Donilon, le conseiller à la sécurité nationale qui allait bientôt quitter ses fonctions. Erdogan avait été rejoint par Ahmet Davutoglu, ministre des Affaires étrangères de la Turquie, et Hakan Fidan, le chef du MIT. Fidan est connu pour être un proche d’Erdogan, et a été considéré comme un bailleur de fonds régulier de l’opposition rebelle radical en Syrie.
L’expert de la politique étrangère m’a dit que le compte-rendu de cette rencontre lui avait été donné par Donilon. (Il a été confirmé plus tard par un ancien responsable américain, qui l’avait lui-même appris d’un haut diplomate turc.) Selon l’expert, Erdogan avait demandé à la réunion de démontrer à Obama que la ligne rouge avait été franchie, et avait amené Fidan pour plaider sa cause. Quand Erdogan a tenté d’entraîner Fidan dans la conversation, et que Fidan a commencé à parler, Obama l’a interrompu a disant : « Nous sommes au courant ». Erdogan a tenté une deuxième fois d’entraîner Fidan dans la conversation et Obama à nouveau lui a coupé la parole en disant : « Nous sommes au courant ». A ce moment, Erdogan, exaspéré, a dit : « Mais votre ligne rouge a été franchie ! » et, m’a raconté l’expert, « Donilon a dit qu’Erdogan « a agité son putain de doigt vers le Président, à l’intérieur de la Maison Blanche » ». Obama a ensuite montré du doigt Fidan et a dit : « Nous savons ce que vous faites avec les extrémistes en Syrie. » (Donilon, qui a rejoint le Council on Foreign Relations au mois de Juillet dernier, n’a pas répondu à nos questions sur cette histoire. Le ministère turc des Affaires étrangères n’a pas répondu à des questions sur ce dîner. Une porte-parole du Conseil national de sécurité a confirmé que le dîner avait bien eu lieu et a fourni une photo montrant Obama, Kerry, Donilon, Erdogan, Fidan et Davutoglu assis à une table. « A part ça », a-t-elle dit, « je ne vais pas vous raconter le détail de leurs discussions. »)
Mais Erdogan n’est pas reparti les mains vides. Obama autorisait toujours à la Turquie de continuer à exploiter une faille dans un décret présidentiel interdisant l’exportation d’or vers l’Iran, une des mesures du régime de sanctions des États-Unis contre ce pays. En Mars 2012 , en réponse aux sanctions contre les banques iraniennes par l’UE, le système de paiement électronique SWIFT, qui facilite les paiements transfrontaliers, a expulsé des dizaines d’institutions financières iraniennes, limitant sévèrement la capacité du pays à faire du commerce international. Les États-Unis ont suivi avec le décret de Juillet, mais ont laissé ce qui devait plus tard être connu comme une « échappatoire en or » : les livraisons d’or aux entités privées iraniennes pouvaient se poursuivre. La Turquie est un important acheteur de pétrole et de gaz iraniens, et a profité de cette échappatoire en déposant ses paiements en monnaie turque dans un compte iranien en Turquie ; ces fonds ont été ensuite utilisés pour acheter de l’or turc à l’exportation vers l’Iran. De l’or pour une valeur de 13 milliards de dollars aurait ainsi été transféré vers l’Iran entre Mars 2012 et Juillet 2013.
Le programme est rapidement devenu une vache à lait pour les politiciens et hommes d’affaires corrompus en Turquie, Iran et Emirats Arabes Unis. « Les intermédiaires ont fait ce qu’ils font toujours, » a dit l’ex-responsable du renseignement. « Prendre 15 pour cent au passage. La CIA a estimé que pas moins de deux milliards de dollars ont ainsi été écrémés. L’or et les livres turques coulaient à flots. » L’écrémage illicite fut rendu public lors du scandale « gaz contre or » en Turquie au mois de Décembre, et a donné lieu à des accusations contre une vingtaine de personnes, opposition rebelle radical en Syrie.
...
L’année dernière, Jonathan Schanzer et Mark Dubowitz ont rapporté dans la revue Foreign Policy que l’administration Obama avait fermé l’échappatoire en or en Janvier 2013, mais « a fait pression pour s’assurer que la législation… n’entre pas en vigueur pendant six mois ». Ils ont spéculé que l’administration voulait utiliser le délai comme une incitation à amener l’Iran à la table des négociations sur son programme nucléaire, ou pour apaiser son allié turc dans la guerre civile syrienne. Le délai a permis à l’Iran « d’amasser quelques milliards de dollars supplémentaires en or, ce qui compromet davantage le régime des sanctions ».

La décision américaine de mettre fin au soutien de la CIA aux livraisons d’armes en Syrie a laissé Erdogan exposé, politiquement et militairement. « Une des questions à ce sommet de mai était le fait que la Turquie est le seul moyen pour alimenter les rebelles en Syrie, » a dit l’ancien responsable du renseignement. « On ne peut pas passer par la Jordanie, car le terrain dans le sud est découvert et les Syriens sont partout. Et on ne peut pas passer à travers les vallées et les collines du Liban – on n’est jamais sûr sur qui on va tomber de l’autre côté ». Sans le soutien militaire des États-Unis aux rebelles, a déclaré l’ancien responsable du renseignement, « le rêve d’Erdogan d’avoir un état soumis en Syrie s’évapore et il pense que c’est de notre faute. Lorsque la Syrie gagnera la guerre, il sait que les rebelles sont tout à fait capables de se retourner contre lui – où peuvent-ils aller ? A ce moment là, il se retrouvera avec des milliers d’extrémistes dans son arrière-cour ».

Un consultant du renseignement américain m’a dit que quelques semaines avant le 21 Août, il a vu une information hautement classifiée préparée pour Dempsey et le secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, qui décrit « l’inquiétude aiguë » de l’administration Erdogan quant à l’avenir sombre des rebelles. L’analyse mettait en garde que les dirigeants turcs avaient exprimé « la nécessité de faire quelque chose qui précipiterait une intervention militaire des États-Unis ». A la fin de l’été, l’armée syrienne avait encore l’avantage sur les rebelles, a dit l’ancien responsable du renseignement, et que la puissance de frappe aérienne américaine pouvait inverser la tendance. À l’automne, a poursuivi l’ancien responsable du renseignement, les analystes du renseignement des États-Unis qui ont continué à travailler sur les événements du 21 Août « ont compris que la Syrie n’était pas l’auteure de l’attaque au gaz. Mais la grosse question était, alors qui ? On a immédiatement suspecté les Turcs, parce qu’ils avaient tous les éléments pour la réaliser ».
Tandis que des bribes d’information et autres données étaient recueillies sur les attaques du 21 août, la communauté du renseignement a vu des preuves venir étayer ses soupçons. « Nous savons désormais qu’il s’agissait d’une opération clandestine planifiée par les gens d’Erdogan pour pousser Obama à franchir la ligne rouge », a dit l’ancien responsable du renseignement. « Il leur fallait monter la barre et déclencher une attaque au gaz dans ou à proximité de Damas alors que les inspecteurs de l’ONU » – qui étaient arrivés le 18 août pour enquêter sur de précédentes attaques au gaz – « étaient encore présents. Le plan était de réaliser une opération spectaculaire. Nos officiers supérieurs ont dit à la DIA et à d’autres sources du renseignement que le sarin avait été acheminé via la Turquie – et qu’il n’avait pu être acheminé qu’avec le soutien de la Turquie. Les Turcs ont aussi fourni la formation dans la production et le maniement du gaz. » Une bonne partie de la confirmation de cette version est venue des Turcs eux-mêmes, via des conversations interceptées au lendemain de l’attaque. « La principale preuve vient des cris de joie et des claques dans le dos échangés après l’attaque dans de nombreuses conversations interceptées. Les opérations sont toujours super secrètes lors de la phase de préparation mais tout s’écroule lorsqu’il s’agit de s’en féliciter après coup. La plus grande vulnérabilité d’une telle opération est la vantardise des auteurs. » Les problèmes d’Erdogan en Syrie allaient bientôt se résoudre. « On envoie le gaz, et Obama dira que la ligne rouge a été franchie, et l’Amérique attaquera la Syrie, c’était du moins le plan. Mais le plan ne s’est pas déroulé comme prévu. »
Les renseignements recueillis après l’attaque ne sont pas parvenus jusqu’à la Maison Blanche. « Personne ne veut en parler, » m’a dit l’ancien responsable du renseignement. « Il y a une grande réticence à contredire le Président, même si aucune analyse des services de renseignement ne vient appuyer ses conclusions. Il n’y a jamais eu la moindre preuve supplémentaire d’une implication syrienne dans l’attaque au sarin depuis que la Maison Blanche a annulé l’opération de représailles. Mon gouvernement ne peut rien dire parce que nous avons agi de façon totalement irresponsable. Et puisque nous avons accusé Assad, nous ne pouvons pas revenir en arrière et accuser Erdogan. »
La volonté de la Turquie de manipuler les événements en Syrie pour ses propres intérêts semble avoir été confirmée à la fin du mois dernier, quelques jours avant les élections locales, lorsqu’un enregistrement entre Erdogan et des assistants fut publié sur Youtube. On y entend une conversation sur une opération sous fausse bannière (false flag) qui justifierait une incursion de l’armée turque en Syrie. On y parle de bombarder la tombe de Suleyman Shah, grand-père du révéré Osman 1er, fondateur de l’Empire Ottoman, qui est située près d’Alep et fut concédée à la Turquie en 1921, lorsque la Syrie était sous domination française. Une des factions rebelles islamistes menaçait de détruire la tombe, à leurs yeux un symbole d’idolâtrie, et le gouvernement d’Erdogan menaçait publiquement de représailles. Selon un article de Reuters sur cette conversation, une voix, apparemment celle de Fidan, parle de créer une provocation : « Regardez, mon Commandant [Erdogan], s’il faut une justification, je peux envoyer quatre hommes de l’autre côté. Je leur fais tirer huit missiles sur un terrain vide [à proximité de la tombe]. Ce n’est pas un problème. La justification peut être créée. » Le gouvernement turque a reconnu qu’une réunion de sécurité nationale s’était tenue sur les menaces émanant de la Syrie, mais a affirmé que l’enregistrement avait été manipulé. Le gouvernement turc a du coup bloqué l’accès à Youtube.

À moins d’un changement majeur dans la politique d’Obama, l’ingérence de la Turquie dans la guerre civile syrienne est susceptible de se poursuivre. « J’ai demandé à mes collègues s’il y avait un moyen d’arrêter le soutien continu d’Erdogan aux rebelles, surtout maintenant que ça va si mal, » m’a dit l’ancien responsable du renseignement. 
 « La réponse a été : « Nous sommes foutus. » S’il s’était agi de quelqu’un d’autre que M. Erdogan, nous pourrions tout dévoiler, mais la Turquie est un cas particulier. Elle est membre de l’OTAN. Les Turcs ne font pas confiance à l’Occident. Ils ne peuvent pas cohabiter avec nous si nous prenons des mesures contre leurs intérêts. Si nous dévoilons ce que nous savons sur le rôle de M. Erdogan avec le gaz, ce serait une catastrophe. Les Turcs diront : « Nous vous détestons pour nous dire ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire. » »
Seymour Hersh