lundi 15 juillet 2013

MARX : La religion est « l’opium du peuple »

Posté  le 24 février 2011
                   Pour comprendre le double sens de la formule de Marx, « la religion est l’opium du peuple »,  il faut d’abord comprendre que la religion, selon Marx, est tout d’abord une illusion, un monde fantastique produit par notre imaginaire, dans lequel l’individu se réfugie pour oublier sa propre misère (« la religion est le soupir de la créature opprimée » dit-il dans ce fameux passage de la Critique de la philosophie du droit de Hegel (1843) d’où est extraite la formule.
La pensée marxiste s’inscrit en effet d’emblée dans un athéisme critique qui définit la croyance religieuse comme une fiction et une aliénation. La religion exprime bien une attente humaine, révèle une détresse qu’elle permet finalement de calmer. Elle est au fond une sorte de consolation. La religion est une réponse à la souffrance par le moyen de  l’espérance d’une vie meilleure, l’attente de la vie éternelle et la promesse du paradis, image parfaite d’un bonheur infini. Elle est donc une forme de compensation illusoire qui exprime nos besoins de surmonter plus facilement les difficultés de notre existence. Lorsque l’homme est aliéné socialement et économiquement, lorsqu’il souffre de sa condition, et qu’il ne peut se réaliser, s’épanouir véritablement dans « la vallée de larmes » qu’est le monde terrestre alors, il ne parvient à l’apaisement que par  l’imagination et la fiction de ses croyances compensatrices. L’idéologie religieuse est donc « l’opium du peuple » au sens où elle est comme une drogue qui tend à faire oublier nos souffrances par la promesse d’un bonheur éternel…
Mais c’est parce que l’homme est privé de la possibilité d’être lui-même heureux réellement qu’il projette sa conscience, ses attentes, ses espérances, dans un monde imaginaire. Par cette projection, l’homme ne gravite pas autour de lui-même, pour reprendre la formule de Marx, mais autour « d’un soleil illusoire ». La religion, qui prétend nous faire retrouver « la vraie vie », n’est en réalité qu’une prise de conscience inverse ou totalement fausse du monde réel qui occulte la réalité dont elle est l’effet. Comme la drogue, la religion est donc une illusion mais aussi une résignation, et donc un poison qui ne s’attaque pas aux causes véritables qui nous font souffrir et qui nous font désirer un remède à nos souffrances (c’est une fausse solution à un vrai problème). Si la fonction de la religion est ainsi de fournir à l’homme un bonheur par procuration,  la conséquence de cette projection de soi dans un ciel vide est donc de nous résigner au final à un monde qui n’est pourtant pas acceptable et contre lequel il conviendrait de se révolter. Le besoin d’illusion est donc bien l’expression d’une protestation contre la détresse humaine (« la détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle » nous dit Marx) et dénoncer l’illusion religieuse c’est alors exiger que l’homme ne se résigne pas à sa condition mais vouloir qu’il soit heureux réellement, qu’il réalise ici-bas l’idéal de justice qu’il exprimait par l’espérance religieuse (idéal de justice qui s’exprime  travers le concept de jugement dernier ou de providence). Critiquer la religion c’est donc s’attaquer au bonheur illusoire, supprimer le besoin de religion, pour construire un bonheur réel, terrestre et non plus céleste. Pour Marx, il s’agit alors de libérer économiquement l’homme et de construire le communisme, condition première du bonheur terrestre. Si l’homme projette dans le ciel une image inversée de lui-même (Dieu est bonté-amour-justice, qualités auxquelles l’homme aspire sans se croire capable de les réaliser complètement dans ce monde réel) alors il se projette lui-même dans le ciel vide, il se met lui-même « hors de soi », il s’aliène, alors même que c’est pourtant sa propre essence qu’il projette ainsi dans le vide mais qu’il perd dans l’illusion et donc dans l’impossibilité d’une transformation véritable de sa vie. Il se retrouve ainsi dépossédé, aliéné par sa croyance. La critique marxiste de la religion est donc d’essence politique (« lutter contre la religion c’est donc aussi lutter contre ce monde-là dont la religion est l’arôme spirituel » écrit Marx). C’est pourquoi la critique du capitalisme suppose également la critique de la religion qui ouvre à la lutte contre le monde qui produit la religion. 
La libération de l’esprit humain suppose alors la critique de la religion et sa condition préalable c’est que l’Etat cesse de s’identifier à une religion et devienne laïc (*).
La critique de la religion doit donc se convertir en somme en critique de la société car la réalité que la religion voile, c’est la misère sociale et politique.
Les marxistes considèrent donc que la religion est « un appareil idéologique d’Etat », c’est à dire une institution par laquelle la classe dominante impose son idéologie aux classes défavorisées. Cette analyse de l’idéologie religieuse est donc une théorie de l’illusion qui s’explique par ce que Marx nomme le rapport infrastructure-superstructure. Marx considère que l’idéologie (les formes de la conscience sociale, la superstructure) est essentiellement déterminée par la base économique d’une société (l’infrastructure) et l’idéologique dérive toujours de l’économique: « ce n’est pas la conscience qui détermine la vie mais la vie qui détermine la conscience » (l’Idéologie Allemande).  Le secret de l’analyse des idées des hommes réside dans l’analyse de leurs structures sociales et de leurs conditions économiques de vie réelles. Si l’on souhaite modifier les formes de la conscience humaine, il faut alors modifier aussi les formes de leurs conditions matérielles de vie (c’est pour cela que Marx dira que le rôle du philosophe n’est pas seulement d’interpréter le monde mais de le changer selon la perspective révolutionnaire). La vérité de l’homme, de sa conscience, n’est donc pas à chercher dans une intériorité mais du côté de son existence sociale. Ce qui caractérise la conscience humaine c’est de tomber dans le mythe de l’intériorité, de croire qu’elle produit d’elle-même ses idées indépendantes du monde dans lequel il vit. En fait, ce que nous apprend la critique contre la religion, c’est que la conscience n’est que le produit de l’histoire, de la société. Ainsi, ce qui a toujours été pensé comme intériorité (la conscience) doit être pensé avec Marx comme extériorité. L’essence humaine n’est donc plus abstraite (comme le souhaite la religion) mais est conditionnée par sa situation sociale. La religion est donc l’indice d’une certaine forme d’anomalie sociale. Pour la faire disparaître, il convient donc de changer la société. Marx pensait donc qu’en changeant notre vie, nous pourrions faire disparaître le besoin de religion.

Eric CHEVET
http://chevet.unblog.fr/
Voici le texte de Marx d’où est extraite la citation:
" Le fondement de la critique irreligieuse est: c’est l’homme qui fait la religion et non l’inverse. La religion est la conscience de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore trouvé lui-même. Et l’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, la société, l’Etat. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale de ce monde. ]…[ Elle est la réalisation fantastique de l'être humain...]…[ Lutter contre la religion c’est donc aussi lutter contre ce monde là dont la religion est l’arôme spirituel.
La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclut. Elle est l’opium du peuple.
L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce à une situation illusoire, c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions.
La critique de la religion est donc dans son germe, la critique de la vallée des larmes, dont l’auréole est la religion. La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse et façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l’âge de raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c’est à dire autour de son soleil réel. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même " .


(*) La laïcité est le principe de séparation de l’État et de la religion, ayant pour but de garantir l’impartialité ou la neutralité de l’État à l’égard des confessions religieuses, pour permettre la liberté de conscience tant pour les croyants de différentes confessions, que pour les non-croyants. Par extension, laïcité désigne également le caractère des institutions, publiques ou privées, qui sont indépendantes du clergé.
La laïcité s'oppose à la reconnaissance d'une religion d'État.(Wikipédia).