jeudi 17 août 2017

Le mythe de la Charia



Partisans et opposants à la charia, musulmans et non musulmans, politiques et apolitiques, spécialistes et novices, intellectuels et journalistes…Tout un monde est pris au dépourvu. Comment prétendre qu’un sujet aussi brûlant n’en est pas un ? Juste une illusion, un mythe, une dérive de l’esprit…

La charia : une définition problématique
La charia est définie comme étant « la loi canonique de l’Islam qui régit la vie religieuse, politique, sociale, appliquée par certains États musulmans ». Cette définition « universelle » reprend un message largement véhiculé dans les sociétés musulmanes.
L’association égyptienne des Frères musulmans, [créée par les Britanniques] dans les années vingt du vingtième siècle et inspiratrice de quasiment tous les mouvements islamistes, a fait de l’édification d’un État islamique, garant de l’application de la charia, sa grande cause. L’idée des Frères musulmans n’est pas nouvelle. Au 8ème  siècle de l’Hégire (14ème siècle de notre ère), Ibn Qayyim al-Jawziyya, un des grands érudits de l’islam, affirmait que « La charia est fondée sur le pouvoir (politique) et la préservation des intérêts des gens… ».
La définition en vogue de la charia est problématique. Elle évoque deux éléments étrangers à la religion : la loi et l’État. Ce n’est pas un goût prononcé pour la laïcité qui dicte ce constat, mais plutôt un souci de cohérence avec les principes même de l’Islam.
L’approche qui consiste à associer l’Islam à la charia et rattacher la charia à l’État et à la loi produit une situation ubuesque.
D’une part, le fait de considérer la charia comme une loi (de source divine) a poussé de nombreux musulmans à l’opposer systématiquement à la loi positive. Ils trouvent ainsi inconcevable de préférer la loi de l’Homme à la loi de Dieu ! Il est certes pénible de croire que le code civil, le code de la route et les autres textes de lois puissent être en compétition avec la religion, mais certains raisonnent ainsi.
D’autre part, la soif du pouvoir et l’obsession de créer un « État islamique » pour « appliquer la charia » hantent l’esprit de certains musulmans, en particulier les extrémistes. Néanmoins, force est de constater que les différents modèles d’application de la charia rencontrés dans le monde musulman réduisent la religion à une caricature, ou à un drame absolu.
L’association est donc malheureuse, mais pas anodine. Elle est d’autant plus malheureuse qu’il s’agit d’une conception infondée et contraire à l’esprit de la religion. Une confrontation du concept de la charia aux sources même de l’Islam ne peut être que bénéfique.
L’équation de la charia
Inutile d’insister que le concept de la charia, telle que reconnu de nos jours, n’a pas de trace dans les sources même de l’Islam. En fait, le terme « charia » n’est apparu que quelques siècles après l’avènement de l’Islam. Et ce sont les oulémas (savants de l’islam) qui l’ont inventé. Cependant, le nom « charia » est dérivé du verbe arabe « charaa » qui lui est cité dans le Coran.
Le verset 13 du chapitre 42 est très explicite : « Il (Dieu) vous a légiféré en matière de religion, ce qu’Il avait enjoint à Noé, ce que Nous t’avons révélé, ainsi que ce que Nous avons enjoint à Abraham, à Moïse et à Jésus ». Le verbe souligné (légiféré) correspond au mot arabe « charaa ». Ainsi, la charia, la vraie, n’est autre que la religion. D’après le Coran :
Charia = Religion
Cette équation à l’énoncé simple rétablit des vérités majeures :
-         Premièrement, une religion est un ensemble de croyances, de rituels, de valeurs et de pratiques qui traduisent le rapport de l’individu à Dieu, à la nature et à ses semblables. Pour ce, assimiler une religion à une loi est un non-sens absolu. De même, opposer d’office la loi positive à la religion est une attitude infondée. Au contraire, la loi qui veille sur les droits individuels et collectifs dans une société est conforme à l’esprit de la religion qui promeut la recherche permanente des intérêts légitimes des êtres humains.
-         Deuxièmement, la religion est une affaire purement individuelle. Elle relève des convictions intimes et profondes de chaque individu. D’ailleurs, les commandements du Coran s’adressent à l’être humain, à l’individu, et non pas à un pouvoir politique ou à un État. La religion peut bien exister, comme à l’époque de Noé ou Jésus,  sans qu’il y ait un État. Donc, revendiquer l’application de la charia (la religion) par un État est complètement absurde. Si un musulman cherche sincèrement à appliquer la charia, il n’a qu’à se conformer, lui personnellement, aux normes de sa religion.
-         Troisièmement, la charia que beaucoup appellent de leurs vœux est presque une simple caricature. Pour ceux-là, appliquer la charia, c’est rétablir des châtiments corporels, interdire l’alcool et les intérêts bancaires, imposer le voile, répandre des discours vagues sur la justice et la bonne morale…et faire passer des traditions anciennes pour des règles sacrées.
Par contre, la charia authentique, c’est-à-dire la religion, exige du croyant, outre les rituels et l’engagement envers Dieu, de s’appliquer à donner le bon exemple. Et ce, par l’attachement aux bons principes et aux valeurs humaines, l’engagement envers sa famille et l’humanité en général, la tolérance et le respect des droits de la femme et de l’enfant, la défense de la liberté, le respect de la dignité et de la vie humaine, l’amour du travail et du savoir…Des centaines de versets coraniques et de paroles du prophète de l’Islam consacrent ces préceptes religieux qui, étrangement, ne figurent nulle part dans les revendications des partisans de la charia. C’est pour le moins douteux de la part de ceux qui crient sur les toits qu’ils veulent appliquer la parole de Dieu.
Conclusion
Pour démêler le vrai du faux, l’idée de la charia largement admise n’est autre qu’une imposture ; une imposture établie à partir d’une dérivation linguistique erronée et d’une construction conceptuelle irrationnelle. Cette imposture est de surcroit trop coûteuse, vu toute l’agitation – stérile et parfois destructrice – créée autour de la charia dans le monde musulman depuis des siècles.
A l’origine, il y a la religion : l’Islam. Une religion est une religion et non pas une loi. Les enseignements religieux s’adressent à l’individu qui est libre et souverain dans leur application.
D’autre part, l’État est une organisation politique et sociale qui émane de la volonté collective d’une société humaine et de ses valeurs. Un État moderne est régi par des lois qui sont censées refléter les valeurs de la société et garantir les droits et les intérêts de tous.
Dans ce schéma, le concept classique de la charia n’a tout simplement pas de place.
Mohamed El Khamlichi.