vendredi 21 mars 2014

Témoignage d’un terroriste tunisien revenu de Syrie


Le texte ci-dessous est la retranscription d’une interview qui a eu lieu le 15 Mars à la télévision tunisienne dans une émission appelée « La ba’s ». Le journaliste, Nawfal al-Wartani, nous présente son invité comme un terroriste tunisien revenu du djihad en Syrie et qui a accepté de témoigner de tout ce qu’il a vu et vécu là-bas.
Cette émission a créé une certaine réaction polémique en Tunisie, certains journalistes allant jusqu’à accuser leur confrère d’avoir monté un faux témoignage. Les autorités tunisiennes auraient retrouvé le témoin anonyme et l’auraient arrêté pour mener une enquête.
Vrai ou faux témoin ?

TV Tunisienne / Émission « Labess » de Nawfal al-Wartani

Introduction de l’émission
Nous vous présentons le témoignage très important d’un Tunisien qui est allé faire le « jihad »  en Syrie et qui en est revenu. Il a vécu une expérience difficile. Disons qu’il a vu la mort de près et que son expérience peut nous aider à comprendre… Nous le remercions d’avoir eu le courage de venir nous en parler, même s’il a le visage couvert et que nous ne connaissons même pas son identité, sinon qu’il s’appelle « Abou Qoussai »…
Questions / Réponses
Q : Vous êtes âgé de 30 ans. Nous aimerions que vous racontiez les événements que vous avez vécus selon leur séquence chronologique. Militiez-vous pour un mouvement islamiste ?
R : Non, j’étais loin de tout cela. Ce n’est qu’en 2008 que je me suis intéressé à ce domaine avec des proches.
Q : Que faisiez-vous précédemment ?
R : Du commerce avec la Libye, tout en occupant un poste dans la fonction publique…
Q : Et en 2011 vous êtes parti faire le jihad en Syrie ?
R : J’ai demandé un congé sans solde deux mois avant de me rendre en Libye avec un groupe d’amis… Je travaillais dans la menuiserie qu’un oncle m’avait enseignée quand j’étais enfant. Nous nous sommes rassemblés à avant de nous rendre en Syrie.
Q : Vous avez donc rencontrés des gens en Libye et ce sont eux qui vous ont proposé d’y aller ?
R : C’est cela… moyennant des « butins ».
Q : Autrement dit, vous alliez faire le Jihad contre quantités de butins et d’argent ?
R : Oui.
Q : Quel itinéraire avez-vous suivi ?
R : De Benghazi à l’aéroport d’Antakya puis à Idleb.
Q : Comment ?
R : En passant la frontière. À l’époque Idleb avait échappé aux autorités de l’État (syrien)… à l’autorité de Bachar… et l’ASL (l’Armée Syrienne Libre) contrôlait absolument tout ; ce qui signifie qu’entrer et sortir étaient choses faciles.
Q : Avez-vous suivi un quelconque entrainement  lors de votre transit par la Libye ?
R : Nous avons été entraînés au maniement des armes à Jabal al-Akhdar, en dessous de Benghazi et à mi-chemin de Brega.
Q : Avez-vous rencontré des Tunisiens en Libye ?
R : Ils étaient présents.
Q : Y’avait-il un bureau de recrutement ? Pourquoi avez-vous été choisis ?
R : Parce que nous étions pieux… mes amis et moi…
Q : Combien de temps êtes-vous restés en Libye ?
R : Un mois.
Q : Des armes légères ? De quel type ?
R : Mitrailleuse BKC, Kalachnikov, fusil mitrailleur JK.
Q : Donc, d’Antakya vous vous êtes rendus à Idleb. Qui avez-vous rencontré là bas ? Comment avez-vous été accueillis ? Combien étiez-vous dans votre groupe et de quelles nationalités était-il composé ?
R : Une vingtaine par groupe, en plusieurs groupes successifs, des Libyens et des Tunisiens… Nous avons été accueillis par un intermédiaire qui nous a dirigé vers une région d’Idleb devenue un émirat et où tous les habitants, des plus jeunes aux plus vieux, étaient religieux. On se serait cru à Kandahar en Afghanistan !
Q : Un émirat indépendant ?
R : Un émirat dépendant de l’ASL et sous le commandement de « Abou jihad al-Chami ».
Q : Avez-vous hésité devant ce spectacle ?
R : Non… J‘étais enthousiaste, pénétré par la religiosité, et assoiffé de religion. Comment pouvais-je reculer ? C’était normal !
Q : Vous avez donc suivi l’ASL avec le « Liwa’ al-Tawhid » ?
R : Oui. C’était la plus importante des brigades… composée de déserteurs de l’Armée arabe syrienne, chacun travaillant à sa guise. Personnellement, je me suis engagé dans la brigade de « Liwa’ al-Ababile » commandée par un ex-pilote, le capitaine « Omar al-Wawi ».
Q : Où êtes-vous allés ?
R : À « Jisr al-Chougour » où ils nous ont dit vouloir établir un état, comme cela a été fait à Tripoli et à Benghazi, pour transformer la place en « un nouveau ou un second Benghazi »… Il s’en est suivi une bataille qui a duré 20 jours à Jisr al-Chougour et Jabal al-Zawiya…
Q : Vous étiez donc au cœur de l’action. Mais quelle était votre mission ?
R : Entrainement aux armes et planifications.
Q : Vous ont-ils fourni des cartes d’identité ?
R : Des cartes d’ « engagés dans l’ASL » où figuraient la photo et la nationalité mais pas le nom et le prénom. Vous aviez un pseudo commençant par « Abou ».
Q : « Abou Qoussai » dans votre cas ! Quel entrainement avez-vous reçu par l’ASL ?
R : Ils nous entraînaient au maniement des armes dans une ferme d’Idleb. Ils nous entraînaient au tir, à la course, au camouflage, etc… Un jour nous avons vu arriver, de Libye, un dénommé « Mahdi al-Harati » 3qui avait planifié l’opération « Arous al-Bahr » (La mariée de la mer) ayant mené à la prise de Tripoli. Il nous a entraînés aussi.
Q : Avez-vous eu l’impression que l’ASL disposait d’importants moyens financiers et autres ?
R : Il en avait… Oui, il en avait ! Quatre députés du Bahrein sont d’ailleurs venus nous soutenir et nous financer. L’un s’appelait « Adel al-Mouawouda », l’autre s’appelait « Abdul-Majid Mourad ». Je n’ai pas connu les autres. Ce sont des cheiks appartenant au courant salafiste… Il y’a eu rencontre avec un certain « Abou Issa », qui commandait la brigade de « Soukour al-Cham ». Ils ont promis que tous les engagés dans cette dernière brigade recevraient 1000 dollars par mois et que le reste de l’argent pourrait servir à acheter des armes ou quoi que ce soit dont ils auraient besoin.
Q : Cela signifie que tout ce que nous avons lu dans les journaux concernant des pays du Golfe soutenant l’ASL est du domaine de la réalité, et que vous en avez été témoin ?
R : Oui… du Bahrein ! Et j’ajouterai un Koweitien du nom de « Walid al-Tabtabi » qui avait monté une organisation islamiste au Koweït, et qui nous expédiait armes et argent.
Q : Comment se passait le transfert de cet argent ?
R : Le tout par l’intermédiaire de banques turques basées à Antakya, Aintab et même au Hatay ; ces  banques disposant des listes de combattants…
Q : Dans ces conditions, que faisiez-vous de cet argent ?
R : Celui qui voulait l’expédier vers son pays d’origine, pouvait le faire. Celui qui voulait le dépenser sur place, le pouvait aussi.
Q : Mais comment cet argent arrivait-il en Syrie ?
R : Par la frontière syro-turque. Tu rentrais et tu sortais sans que le service turc des douanes ne te fouille !
Q : Quels sont les combats auxquels vous avez participé dans les rangs de l’ASL ?
R : Jisr al-Chougour, Jabal al-Zawiya, et la bataille de Baba Amr à . Le haut commandement de l’ASL, basé en Turquie, nous avait demandé de nous rendre dans cette dernière province en nous informant que les armes y arriveraient en provenance de la frontière libanaise. Nous avions reçu l’ordre de faire en sorte que Baba Amr ne tombe pas aux mains de Bachar al-Assad ! Maintenant, si vous regardez une carte de la Syrie vous comprendrez qu’il s’agissait de contrôler un immense territoire allant de la frontière irakienne jusqu’aux frontières libanaises. En d’autres termes, au cas où l’ASL aurait réussi cette opération, il devenait possible d’isoler le régime de en installant un gouvernement à Idleb, à Alep, à Raqqa, ou ailleurs. D’ailleurs, Homs est en ruine. Comme disent les Syriens, c’est désormais la « Stalingrad syrienne » !
Q : Combien de temps duraient ces batailles ?
R : Un jour entier… quelque fois plusieurs jours… C’était eux ou nous !
Q : Avez-vous vu beaucoup de morts ?
R : Oui j’ai vu. Des morts parmi les soldats de l’Armée arabe syrienne et des morts parmi nous.
Q : À Homs, par exemple, lequel des deux partis était le mieux équipé ?
R : L’Armée arabe syrienne disposait  de chars de blindés et d’armes russes, alors que nous n’avions que des armes légères telles des mitrailleuses, des fusils sniper et d’autres armes américaines venues de toutes les directions.
Q : Et malgré cela, des soldats syriens tombaient ?
R : Des soldats syriens tombaient et des combattants de l’ASL tombaient aussi !
Q : Dans des pièges ?
R : Oui, dans des pièges.
Q : Et vous, avez-vous combattu ?
R : Oui.
Q : Et vous avez tué des soldats de l’Armée arabe syrienne ?
R : « Hochements affirmatifs de la tête ».
Q : En tant que quoi avez-vous vous participé à ces trois combats ?
R : En tant que planificateur.
Q : Comme, par exemple, la bataille de Jisr al-Chougour sous la direction du colonel Harmouche ?
R : Oui, mais nous avons entendu parler de son incompréhensible arrestation ainsi que de celle de ses cousins par les Moukhabarates (les services de renseignement) ; alors que, suite à l’attaque de son lieu de résidence dans le village d’Iblin, nous nous étions préparés à nous rendre sur place pour le secourir…
Q : À Jisr al-Chougour vous avez attaqué un poste de police. Bilan : 120 policiers tués ?
R : Oui… des Tunisiens et des Libyens.
Q : Des Tunisiens et des Libyens ?
R : Nous avions des Syriens, mais ceux qui avaient planifié l’attaque étaient libyens… 120 morts… C’est là qu’a commencé la bataille de Jisr al-Chougour, cette place n’étant pas sous contrôle.
Q : Et là, avez-vous tué des policiers ?
R : Non.
Q : Et comment avez-vous participé aux batailles de Jabal-al-Zawiya et de Baba Amr ?
R : Le Colonel « Abdul-Razak Tlass » avait demandé des renforts. Nous avons emprunté l’autoroute Alep-Hama-Homs pour aller l’aider. Nous avons traversé sans craintes et sans encombres, l’autoroute étant sous contrôle de l’ASL, et c’est ainsi que nous sommes arrivés à destination avec les renforts nécessaires.
Q : On raconte que les Tunisiens sont le cerveau pensant des opérations ?
R : Nous sommes tout ! Nous sommes tout !
Q : Que voulez-vous dire par « nous sommes tout » ?
Q : Je veux dire que nous sommes les planificateurs, nous sommes les féroces combattants, nous dirigeons les tribunaux de la Charia…
Q : Quels tribunaux de la Charia ?
R : L’un siégeant dans le rif de Idleb ; l’autre, dans le rif d’Alep.
Q : Alors ce sont les Tunisiens qui dirigent ?
R : Oui.
Q : Qu’avez-vous, vous-même, planifié ?
R : Mes planifications concernaient la destruction des mosquées.
Q : Destruction ?
R : Oui, la destruction des mosquées.
Q : Mais pourquoi ?
R : Notre plan consistait à viser les mosquées portant des noms de califes tel celui d’Abou Bakr, ou encore le nom de Saïda Aïcha… Ainsi, nous poussions à la désertion  les soldats de l’Armée arabe syrienne qui est, dans sa grande majorité, composée de sunnites… Vous avez pigé le plan ?
Q : Le plan ?
R : Oui, le plan. Des sunnites et des Alaouites dont Bachar !
Q : Ah bon ! Dois-je comprendre que vous cherchiez à démolir les relations au sein de l’armée de Bachar ?
R : Ainsi tous les sunnites de l’Armée syrienne devaient nous rejoindre ; laquelle, par conséquent, devait s’affaiblir.
Q : Et c’est pourquoi vous laissiez vos inscriptions sur les murs des mosquées que vous aviez détruites ?
R : Nous écrivions sur les murs d’une mosquée détruite par nos soins : « Allah, w’ Souriya, w’Bachar, w’bass » (Dieu, la Syrie, Bachar et c’est tout !), ou « Il n’y a de Dieu que la patrie ! », ou encore « Il n’y a de prophète que le Baas ! ».
Q : Et vous brûliez de corans en vous comportant comme si vous étiez des ennemis de l’Islam ?
R : Moi, je n’ai pas brûlé de Corans.
Q : Nous avons vu une vidéo disant « Il n’y a de Dieu que Bachar », pardon mon Dieu ! Bref, vous fabriquiez de quoi remonter les gens contre Bachar ?
R : Oui.
Q : Autrement dit les divisions sectaires étaient ainsi fabriquées ?
R : Écoutez, je ne défends pas Bachar…
Q : Mais non, mais non… Vous décrivez juste la réalité. Bachar est un dictateur et un tueur. Nous ne le défendrons certainement pas.
R : Oui un tueur… l’ASL et nous tous tuons… il n’empêche que c’est lui le tyran.
Q : Justement. Vous avez raison M. Abou Qoussai.
R : Une fois, ils ont arrêté un type de Homs qui refusait d’avoir à faire avec l’ASL, ils l’ont frappé et l’ont atrocement torturé à la chignole…
Q : Alors même qu’il était innocent et n’était pas un soldat… ?
R : Oui… pour ensuite faire porter le chapeau à Bachar. Ils utilisaient des méthodes de torture importées d’Iran, telles celles décrites en Irak, et les répandaient ensuite dans la presse.
Q : Juste pour en accuser Bachar ?
R : Oui.
Q : Pourquoi l’ASL et Jabhat sont-elles devenues ennemies ?
R : Les Tunisiens ont commencé à raconter que l’ASL était laïque… et les dissensions ont commencé. Les Tunisiens ont alors rejoint pour des raisons religieuses… À savoir que les laïques étaient subventionnés par les Américains…
Q : Ils ne travaillent donc plus ensemble ?
R : Non, ils ne le font pas. Mais, que reste t-il de l’ASL ? La plupart de ses chefs sont morts ! J’ai même entendu que 30 d’entre eux ont été ciblés après que les Services de renseignement les aient localisés dans une demeure où ils s’étaient réunis. Ceux qui restent sont désormais des réfugiés politiques ou ont rejoint d’autres formations.
Q : Et puis DAECH a surgi ?
R : À l’époque DAECH n’était pas encore intervenu. Nous en entendions parler à partir de l’Irak en tant qu’EIIL (État Islamique de l’Irak et du Levant).
Q : Mais alors que vous vous trouviez au sein de tous ces combats, vous n’avez jamais pensé que vous n’étiez en rien concerné par tout cela ? Vous étiez emporté par votre enthousiasme pour la de l’Islam et la chute du dictateur ?
R : Oui. Mais je me suis réveillé quand ils ont tué le cheikh Al-Bouti. À l’époque, nous recevions nos ordres du Ar’our, un cheikh d’origine syrienne qui parlait sur la Chaîne TV Al-Wissal dépendant du cheikh koweitien Al-Ajami.
Q : Ils l’ont tué ?
R : Ils l’ont tué après avoir prétendu qu’il était un Imam au service des Nusayris – c’est ainsi qu’ils désignent las Alaouites – alors qu’il n’était que rectitude…
Q : Quel type de combats avez-vous mené avec Jabhat al-Nosra ?
R : Des combats pas trop importants. Des attaques de barrages et des trucs comme ça.
Q : Le jour, le Jihad… Et la nuit, que faisiez-vous ? Qui rencontriez-vous ?
R : On restait assis, l’un clamait des poèmes, l’autre entonnait des chants du Jihad. Parfois on suivait des entrainements. Ce genre de vie.
Q : Et personne de la direction ?
R : Il y avait « Abdul-Razak Tlass »… Il était tout le temps sur Skype…
Q : Qui ça ?
R : Abdul-Razak Tlass. Son grand père était ministre de la Défense du temps de Hafez al-Assad : Mustapha Tlass. Il était toujours en compagnie d’amies et leur parlait toute la nuit.
Q : Est-il vrai qu’il y avait des filles parmi vous ? En avez-vous vues ?
R : Oui j’ai vu. Elles étaient au nombre de treize. Le jour, elles se battaient et étaient spécialisées en tant que snipers.
Q : Des Tunisiennes ?
R : Des Tunisiennes, des Irakiennes…
Q : Des snipers le jour, et des jihadistes du sexe la nuit ?
R : Oui.
Q : De toutes les nationalités ? , Palestine, Europe de l’Est ?
R : Présentes !
Q : Aviez-vous, vous-même, une relation avec une jeune fille ?
R : J’avais.
Q : Ce qui signifie que tous les combattants y avaient droit ?
R : Ils y avaient droit, mais gare à toi si tu t’approchais de celle programmée pour un autre combattant. À chacun son temps selon une répartition donnée.
Q : Qui a entraîné les filles à tirer ?
R : C’est Abou’l Baraï qui les a entraînées à se battre et à tirer.
Q : Un Saoudien ?
R : Un Saoudien.
Q : Avec Jabhat al-Nosra vous avez participé à l’attaque de l’aéroport d’Alep et à la « libération » de Ma’bar al-Tal…
R : C’était au tout début de la chute de Raqqa qui a donc échappé au « régime ». À cette époque nous avions reçu de l’argent par un dénommé « Fayçal al-Houeidi » qui faisait partie des notables de Raqqa et dont le frère était en relation avec les émirs d’Arabie saoudite. Il en recevait de l’argent qu’il distribuait à la ronde, dont des amis avocats et médecins qui sortaient dans les manifestations, excitaient les gens du coin, et surtout planifiaient pour que Raqqa tombe sans . Je ne suis pas resté longtemps en leur compagnie… Il y avait aussi un officier nommé « Khaled al-Halabi ». C’est lui qui, moyennant finances, a écarté les barrages de l’Armée… Et c’est en clin d’œil que Raqqa est ainsi tombée !
Q : De quoi est composée Jabhat al-Nosra et qui la finance ?
R : Jabhat al-Nosra est issue d’associations islamistes et elle est financée par le Qatar et même par l’Arabie saoudite, tandis que l’ASL est financée par la Turquie et le Qatar.
Q : Combien de Tunisiens estimez-vous avoir rencontrés là bas ?
R : Ils sont nombreux. Je ne peux donner de chiffres.
Q : Les Tunisiens sont donc des planificateurs et des combattants ?
R : Oui. Le chef de l’ASL, Riad al-Asaad, ne travaillait pas avec des Syriens auxquels il ne faisait pas confiance… Il se raconte qu’on les avait surpris entrain de déposer des repères au moment des frappes de l’aviation syrienne.  Il préférait travailler avec des Saoudiens, des Tunisiens, des Libyens…
Q : Aïe, aïe, aïe ! Quelles étaient vos relations avec les Syriens ? Ils vous témoignaient de l’animosité ? Ils avaient peur de vous ?
R : Ils avaient peur de nous. Et puisqu’ils étaient contre nous, ils étaient contre la révolution, parce que c’est la révolution qui les frappait, qui les torturait…
Q : Vous leur imposiez les conditions difficiles de vos tribunaux de la Charia ?
R : J’ai vu ces mêmes comportements chez l’ASL et chez Jabhat al-Nosra. L’ASL aussi torturait, châtiait, et emprisonnait !
Q : Ce qui veut dire que l’Armée torturait et les opposants aussi… Comment receviez-vous les ordres et comment exécutiez-vous les assassinats ?
R : Les assassinats étaient réservés aux Syriens parce qu’ils connaissent le terrain.
Q : Receviez des messages chiffrés du Cheikh Ar’our, celui qui s’adressait à vous par l’intermédiaire de la chaîne TV al-Wissal appartenant au Cheikh Ajami ?
R : Pas de messages chiffrés, mais un encouragement permanent… Il disait aux Syriens : « Regardez comment les Libyens se sont débarrassés de leur tyran », et nous disait : « Nous vous attendons à Homs pour faire de même avec Bachar ».
Q : Il voulait donc que vous répétiez le scénario de Misrata. A-t-il arrêté ?
R : Non, non, il est toujours là !
Q : Comment Mahdi al-Harati a-t-il exécuté l’ contre la « Cellule de sécurité nationale » à Damas ?
R : Il en a été le concepteur. L’attentat s’est soldé par l’assassinat du ministre de la Défense, du beau frère de Bachar, et de deux autres haut gradés.
Q : Il avait donc planifié l’élimination des cadres supérieurs de l’Armée arabe syrienne ?
R : Pour semer la zizanie au sein de l’Armée, mais Mahdi al-Harati a trouvé la mort à Damas !
Q : Aux ordres de qui était-il ?
R : Il était le bras droit du chef de l’ASL, Riad al-Asaad. Il était toujours à ses côtés. C’est lui qui nous entraînait. Et c’est lui qui a planifié notre entrée dans Alep aussi.
Q : Est-ce que l’ASL est présente à Misrata, et est-ce qu’elle envoie des jeunes se battre en Syrie ?
R : Les sources de financement et un bureau de soutien à l’ASL se trouvaient à Misrata. Ce bureau est désormais fermé.
Q : Quelle est la relation entre « Abdul Karim Belhaj » et l’ASL, ainsi qu’AL-Nosra ?
R : Comme il a éliminé Kadhafi il pouvait éliminer Bachar…
Q : Par un soutien financier ?
R : Il a demandé au chef du gouvernement libyen de fournir des armes et de l’argent à l’ASL.
Q : À quel moment avez-vous pris la décision de revenir en Tunisie et pourquoi ?
R : Au moment où ils ont tué le Cheikh Al-Bouti qui n’avait cessé de mettre en garde contre la fitna.
Q : Ils l’ont tué dans une explosion ?
R : Oui. Et puis il y a eu un deuxième cheikh assassiné à Alep dans le quartier de Cheikh Maksoud.
Q : Le cheikh Hassan Youssef ?
R : Le cheikh Hassan Youssef. Ils l’ont attaqué en pleine mosquée. Un libyen l’a giflé en lui criant : « Tu n’es qu’un chabiha de Bachar » ; alors que lui ne cessait de répéter : « Mes enfants, je suis contre la fitna… ». Ils l’ont traîné dehors. Ils l’ont frappé. Ils l’ont exécuté à l’épée et ont accroché sa tête sur le minaret de la mosquée.
Q : Le minaret ?
R : Le minaret.
Q : Et quand avez-vous décidé de quitter cet enfer ?
R : Quand l’ASL a décrété qu’aucun moujahid ne devait quitter et qu’elle s’est mise à ramener celui qui voulait partir en le ramenant… même de l’aéroport. Nous étions venus pour une mission, il nous fallait l’exécuter !
Q : Comment avez-vous fait pour quitter ?
R : Nous avions reçu un ordre de mission consistant à « corriger » des personnes qui collaboraient avec l’Armée… il fallait qu’elles meurent !
Q : Corriger veut dire tuer ?
R : Elles collaboraient avec le régime.
Q : Vous receviez des ordres que vous exécutiez sans la moindre preuve ?
R : Nous postions des Syriens… une sorte de police politique.
Q : Vous avez donc décidé d’aller corriger « la tribu » ?
R : Oui… Mais moi, j’avais réfléchi à un plan. Mort pour mort…  j’avais mon BKC… mes cartouches… j’étais derrière tous les autres… je leur ai réglé leur compte.
Q : Vous les avez tués ?
R : Je les ai tués.
Q : Combien en avez-vous tués ?
R : Tous !
Q : Quinze ?
R : « Hochement discret de la tête ».
Q : Après cela, vous êtes parti au Liban en passant par Alep et Homs ?
R : Non. Non. D’Alep, je me suis dirigée vers Tal Kalakh. J’ai pris des raccourcis.     Je connaissais bien la route et les points de passage des armes à travers la frontière, pour la bonne raison que j’en avais réceptionnées.
Q : Pour arriver où ?
R : Chez les Alaouites du Liban.
Q : Ils ne vous ont pas suspecté ?
R : Si. Mais, c’est moi qui suis allé les voir. Je me souviens qu’un homme en Mercedes blanche est venu me ramasser… Ils m’ont enfermé, bastonné, torturé, tout nu, les pieds ligotés…
Q : Autrement dit, vous avez vu la Mort ?
R : Oui.
Q : Comment se fait-il qu’ils vous aient laissé partir ?
R : Je leur ai proposé un marché : « la stratégie du trafic des armes » ! Je connaissais tous les points de passages tout le long de la frontière libanaise…
Q : Et ils vous ont relâché ?
R : Parce que je leur avais donné des exacts. Deux jours après, ils m’ont dit que je pouvais partir. Mais comme, je n’avais plus de papiers d’identité ni de passeport, ils m’ont mis dans un bateau en partance pour la Libye.
Q : Ils vous ont balancé dans un bateau en partance pour la Libye ?
R : Oui… en direction de Benghazi.
Q : Et comment vous êtes-vous débrouillé en Libye ?
R : J’avais fait du commerce avec la Libye… je connaissais des gens.
Q : De Libye, vous êtes entré en Tunisie sans passeport ?
R : Je suis entré du côté d’Az Zantān.
Q : C’était quand ?
R : En Janvier 2013…
Q : Dans quel état étiez-vous ?
R : Psychologiquement démoli.
Q : Vous êtes revenu dans votre famille ?
R : Oui.
Q : Pendant votre absence, qu’est-ce qu’elle s’était imaginée ?
R : Elle pensait que j’étais en Libye, et je lui envoyais de l’argent.
Q : Des virements à partir de banques turques.
R : De la frontière turque.
Q : Vous traversiez la frontière et vous faisiez vos virements. Normalement ?
R : Oui.
Q : Avez-vous des séquelles physiques ?
R : Des orteils arrachés, des douleurs à l’arrière du crâne dues à des coups reçus à Homs, des saignements du nez que j’ai soignés, des migraines…
Q : Avaient-ils les moyens de vous prodiguer des soins médicaux ?
R : Ils avaient tous les moyens. Pour les médicaments, nous nous servions dans les stocks de l’État. Pour le reste, il y avait tout ce qu’il fallait comme médecins et chirurgiens de toutes les nationalités. On se rendait à l’« Hôpital du terrain » !
Q : Comment avez-vous vécu depuis votre retour en 2013 jusqu’ici ?
R : J’ai réintégré mon poste dans la fonction publique, puisque j’avais juste demandé un congé sans solde. Ils ne sont pas au courant.
Q : Pensez-vous être parti défendre une cause, ou bien que vous avez été manipulé ?
R : Ils nous ont manipulés. Nous sommes partis pour défendre une cause, mais nous avons trouvé une manipulation !
Q : Abou Qoussai, votre témoignage est très important pour tous les jeunes. Quel conseil pouvez-vous leur donner ?
R : Toute cette affaire est un « jeu international » qui nous amène à détruire nos pays de nos propres mains.
Q : Avez-vous entendu des Tunisiens -rencontrés en Libye ou ailleurs- parler de plans prévus pour la Tunisie ?
R : Le « Système Pakistan ».
Q : C’est-à-dire ?
R : Écoles coraniques, Institutions tenues par des islamistes… Celui qui ne marche pas avec eux mourra… comme nous l’avons vu pour le « Système Algérie » !
Q : Avec des planifications d’assassinats ?
R : Ils aimeraient même tuer les officiers de l’Armée.
Q : Combien de Tunisiens sont morts ?
R : Il en mourrait tous les jours. Et ceux qui ne sont pas morts, sont portés disparus, volatilisés sous les bombardements, ou en prison.
Q : Est-ce que vous regrettez ? Combien de personnes avez-vous tuées ? Des dizaines ?
R : Bien sûr que je regrette… quelqu’un qui a tué autant d’âmes !
Q : Vous ne savez pas combien vous en avez tués ?
R : Non. J’ai tué… c’est tout !
Q : Une fois de plus, qu’est-ce qui vous a réveillé ?
R : Je vous l’ai dit, la mort du Cheikh Al-Bouti…
Q : En Tunisie, avez-vous rencontré des gens qui organisaient ces expéditions en Syrie ?
R : Dans des agences de voyage, des compagnies anonymes, des intermédiaires.
Q : Et vos papiers, votre passeport ?
R : ils sont perdus.
Conclusion : Abou Qoussai, je vous souhaite une bonne santé. Merci pour tout ce que vous nous avez appris.


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